l'écrémage numérique chinois

Comment interpréter l’attitude des autorités chinoises vis-à-vis du secteur technologique ?

La Chine a progressé très rapidement sur le plan technologique ces dix dernières années. Les entreprises internet sont devenues très grandes. Maintenant, le parti a ce défi de réagir et d’essayer de guider et de contrôler le secteur. Ce qui se passe actuellement n’a rien de très surprenant pour moi. Ce sont plutôt les réactions des investisseurs et des gouvernements étrangers qui m’étonnent. On est dans la continuité. La Chine a toujours été très claire. Tous les plans quinquennaux témoignent de son intention de conserver le contrôle et la souveraineté sur les secteurs jugés stratégiques. Le numérique en fait partie. Pékin veut utiliser les entreprises tech comme des acteurs presque politiques qui doivent soutenir et aider le parti communiste à garantir la croissance économique, à accélérer des gains de productivité, à gagner de l’influence internationale… On est dans du capitalisme d’Etat.

Que veut précisément éviter Pékin ?

Le parti veut d’abord éviter la constitution de conglomérats et l’émergence de CEO trop influents. L’exemple le plus parlant est celui d’Alibaba et de son CEO Jack Ma. Alibaba était devenu trop influent dans l’économie chinoise et son charismatique patron, Jack Ma, était devenu une menace symbolique, même pour Xi Jinping. Pékin veut aussi éviter que des investisseurs occidentaux ne prennent des positions dans ce type d’entreprises stratégiques via la bourse de New York. Il n’a jamais vraiment aimé qu’elles se fassent coter aux États-Unis. Je pense aussi qu’il veut éviter que les entreprises chinoises ne soient influencées par le droit d’autres pays, à commencer par le droit américain. Enfin, il y a aussi un enjeu crucial pour le parti : maintenir le contrôle sur le contenu fourni par les plateformes (censure). De son point de vue, Tencent n’a pas respecté les règles visant à protéger les mineurs.

Si ce mouvement était prévisible, pourquoi agir maintenant ?

Deux phénomènes se conjuguent. D’une part, il y a la taille acquise par ces entreprises. D’autre part, on assiste à une détérioration des relations Chine – États-Unis. Il y a une intention – des deux côtés – de déconnecter les deux économies ou à tout le moins de réduire l’exposition des entreprises de l’un chez l’autre.

On dit que la Chine a laissé faire ces acteurs du Net…

La Chine a peu relâché la laisse autour de ses entreprises pour leur permettre d’accéder aux technologies et savoir-faire de l’étranger. Mais avec elle, la libéralisation est toujours très sélective. La Chine accepte que les entreprises développent des partenariats avec des entreprises étrangères, s’introduisent en bourse… pour que le pays puisse devenir à long terme plus autonome. Une fois l’objectif atteint, la libéralisation est reconsidérée. On l’a vu dans les télécoms, l’automobile… Ce qui se passe dans le secteur numérique n’est qu’un exemple de plus d’un capitalisme d’Etat pragmatique. Le Soir 22 August 2021

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